Quatre ouvrages à signaler
Luc Vigier
Emmanuelle Bluteau – François Ouellet
François Migeot (2)
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1/ Luc Vigier, Aragon et le cinéma, Collection « Le cinéma des poètes » dirigée par Carole Aurouet, 2015
Louis Aragon a peu écrit pour le cinéma mais sur lui et avec lui. Il le frôle et l’absorbe avec intensité, comme matériau étrange et familier, d’un bout à l’autre de son oeuvre. Une part de son esthétique poétique s’en inspire et s’y confronte, et son regard obsédé par l’image fixe ou animée, trouve dans l’écriture cinématographique stimulants, métaphores et modélisations vitales. On doit donc chez Aragon traverser poèmes, proses poétiques et textes critiques pour saisir cette danse esthétique autour d’un art désiré, d »une tentation d’écriture peut-être et d’une cinétique singulière d’une pensée par l’image.
Cette étude se propose d’entrer quand c’est nécessaire dans le détail des textes (poèmes et poèmes en prose), notamment dans les cas d’ekphrasis filmiques afin de faire entendre au mieux l’écriture aragonienne et de lier ces moments de forte attention par des aperçus synthétiques soulignant les moments clés où l’alchimie poétique engage un rapport spécifique au cinéma.
« L’homme moderne seul est un héros de cinéma. C’est pourquoi l’art cinématique doit porter fortement la marque de notre époque, doit se soumettre aux lois esthétiques les plus jeunes, les plus neuves, les plus hardies. » (Aragon, « Du Sujet », 1918)
2/Emmanuel Bluteau et François Ouellet (dir), Jean Prévost le multiple, Presses universitaires de Rennes, 2015
Soixante-dix ans après sa mort, une relecture attentive de l’oeuvre de Jean Prévost – forte d’une trentaine d’ouvrages et de plus d’un millier d’articles –, inachevée par le fait des circonstances, ouvre de nouvelles perspectives. Prévost aimait réfléchir, étudier, comprendre, résoudre. Bien penser était pour lui un métier, voire une vocation.
3/ François Migeot, Portée des ombres Pour une poétique de la lecture, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2015.
Cette poétique de la lecture sollicite une approche « textanalytique » qui met à contribution l’appareil conceptuel de la psychanalyse, celui de la linguistique, et qui voisine aussi avec la sémiotique différentielle de Jean Peytard. L’idée du livre, à travers les différents auteurs et textes convoqués, est de mettre en place une démarche de lecture dont on expose les fondements dans les premiers chapitres, et de l’éprouver sur un vaste corpus, allant de Baudelaire à Claude Louis-Combet, en passant par Laclos et Balzac, tout en faisant le pari que cette approche, qui noue le travail de l’inconscient à celui de la poétique, loin de ramener les analyses au « même » de la théorie, permet au contraire de mettre en lumière ce qui fait la singularité littéraire — la littérarité — de chacun des textes analysés, de même que le régime linguistique qui y est sollicité.
4/ (Rétrospectif) : François Migeot (trad.), Trois poètes vénézuéliens : Rafael Cadenas, Eugenio Montejo, Luís-Alberto Crespo, Éd. du Murmure, 2014.
Cette anthologie bilingue offre une sélection, une traduction et une présentation des textes de trois des plus grands poètes que le xxe siècle ait donné au Venezuela, donnant ainsi accès à leurs oeuvres au lectorat français. La poésie – « intranquille », sans concession ni séduction – de Rafael Cadenas est traversée par une acerbe lucidité qui dit à la fois l’espoir qui fonde l’aventure du poème et l’amertume qui résulte de cette chasse impossible et cependant inéluctable. Pour sa part, la poésie de Eugenio Montejo est celle d’une célébration – celle de la présence du monde et au monde, toujours évanescente – et celle d’une tentative pour la fixer en mots, la sauver du fugitif, tout en sachant que la lumière du bonheur est frappée par l’ombre de la perte. Quant à celle de Luís-Alberto Crespo, elle procède
d’une poétique de l’éclat. Les images ne fleurissent qu’une fois, dans l’éblouissement et la stupeur, puis laissent de nouveau le silence retomber sur le vide.