Séminaire « Grandes et petites Mythologies »
Jeudi 2 mars 2023
17h-19h
Bibliothèque Robert de Sorbon et par ZOOM
Martin Aurell
Université de Poitiers
« Le glaive: symboles et société »
Au sein de l’aristocratie médiévale, nul objet n’est plus chargé d’affect et de symboles que l’épée. Du strict point de vue de l’efficacité militaire, elle est certes reléguée, autour de l’an mil, par la lance, arme par excellence de la chevalerie. Elle ne l’en surclasse pas moins par les mythes qu’elle véhicule. Forgée dans l’au-delà par des artisans surnaturels, demi-dieux ou elfes, transmise de père en fils au sein du lignage, recelant des reliques dans son pommeau, elle relève du talisman aux pouvoirs magiques, menant son possesseur courageux et fidèle vers la victoire ou, au contraire, abandonnant le parjure et le félon au milieu de la mêlée. Ce système de croyances, somme toute païen, coexiste avec la théorie des deux glaives, que les écoles exégétiques parisiennes développent au XIIe siècle. Séparant strictement le temporel du spirituel, elle propose au roi et au guerrier aristocratique de ne pas empiéter sur le sacré, mais d’assumer une éthique chrétienne, largement évangélique et, sinon pacifiste, du moins pacifique. Les passerelles entre l’épée du chevalier et le glaive du prêtre existent cependant. Elles se concrétisent sur la notion de justice, dont les thèmes sont développés par le clergé autour de la remise de l’épée au roi lors du couronnement, puis au chevalier lors de l’adoubement. Elles peuvent même prendre la forme du Pont de l’Épée emprunté par Lancelot pour rejoindre Guenièvre, sa maîtresse adultère. Sermons et sculpture ecclésiale s’emparent, en effet, du thème au XIIIe siècle. L’épée est, en définitive, un lieu privilégie d’hybridations entre la guerre et la paix, la sacralité et la sainteté, le profane et l’ecclésiastique.
Martin AURELL est professeur d’histoire à l’Université de Poitiers, où il a dirigé Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (UMR 7302). Il a été membre de l’Institut Universitaire de France entre 2002 et 2012. Il étudie les structures de parenté, la chevalerie et, plus généralement, l’histoire de la société et de la culture occidentales des Xe -XIIIe siècles. Quelques-uns de ses livres
récents : L’Empire des Plantagenêt (1154-1224), Paris, Perrin, 2003 (trad. angl., 2007, trad. esp., 2012) ; La Légende du roi Arthur (550-1250), Paris, Perrin, 2007 ; Le Chevalier lettré : savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Paris, Fayard, 2011 ; Des Chrétiens contre les croisades (XIIe-XIIIe siècle), Paris, Fayard, 2013 ; Excalibur, Durendal, Joyeuse : la force de l’épée, Paris, PUF, 2021.
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