L’ECRIVAIN ET POETE GEORGES-EMMANUEL CLANCIER EST MORT
Source : la lettre d’informations du site de l’APRES (Association pour l’étude du surréalisme) et le journal Le Monde
Auteur d’une oeuvre pleine d’énergie et diverse – avec toujours la poésie trônant en majesté –, l’écrivain prolifique est mort mercredi à l’âge de 104 ans.
LE MONDE | 04.07.2018 à 14h06 • Mis à jour le 05.07.2018 à 16h04 |Par Patrick Kéchichian
C’est à l’âge de 104 ans que Georges-Emmanuel Clancier vient de mourir, mercredi 4 juillet. Son sourire plein de malice, lui, n’avait pas vieilli. Il manifestait toujours la même générosité, le même bonheur de partager des idées, des enthousiasmes. Ayant atteint depuis longtemps l’âge où il aurait pu prétendre à ce rôle, Georges-Emmanuel Clancier, écrivain prolifique, ne posait pas en vieux sage. « La vie parle si fort que je ne puis me taire », avait-il décrété une fois pour toutes.
D’une telle perception de l’existence et du monde naquit une oeuvre pleine d’énergie et diverse – avec toujours la poésie trônant en majesté. Cette poésie qui demeurait à ses yeux « le seul chant sacré permis à l’homme moderne, et sans lequel celui-ci était condamné à perdre son existence et son humanité ».
Né à Limoges le 3 mai 1914, Georges-Emmanuel Clancier est le fils d’une famille d’artisans porcelainiers. La maladie l’oblige à interrompre ses études en classe de philosophie. Adolescent, il découvre la poésie moderne et, dans les années 1930, commence à publier, notamment dans Les Cahiers du Sud. En 1939, il est à Paris, où sa femme, Anne, prépare l’internat de psychiatrie (elle deviendra psychanalyste).
LA PERIODE DE LA GUERRE
De retour en Limousin en 1940, il reprend des études de lettres. Pèlerinage littéraire et initiatique à Carcassonne auprès de Joë Bousquet. « GEC », comme l’appellent ses amis, s’investit, à partir de juillet 1940, dans l’aventure de la revue Fontaine dirigée depuis Alger par Max-Pol Fouchet. En septembre 1941, il participe à la rencontre de Lourmarin, moment-clé de la résistance intellectuelle en France. « La guerre la guerre faite à l’homme/Par la bête à tête d’homme… », marquera profondément l’écrivain et le résistant. « Notre jeunesse, écrit-il, s’est heurtée aux ténèbres effroyables, à la négation la plus horrible, la plus totale de l’homme que l’histoire ait jamais connue : elle s’est heurtée au nazisme. » Plus tard, il aura des mots aussi durs pour dénoncer la terreur communiste, dans laquelle « le cri de la justice ose épouser le crime ».
A la Libération, Georges-Emmanuel Clancier est chargé d’organiser la radiodiffusion française à Limoges. Il mène alors parallèlement une carrière de journaliste et d’écrivain. En ces mêmes années, il fonde la revue Centres (avec Robert Margerit et René Rougerie). Ce pluriel indique bien qu’il n’y a pas chez Clancier d’idéalisation du terroir. Pas davantage d’aveuglement nostalgique : « pour moi, les “terres de mémoire” sont, à la façon des étoiles, rayonnantes vers bien des horizons. » A partir du milieu des années 1970, au Pen Club et à l’Unesco, il élargit et universalise son regard.
C’est en 1942 que Georges-Emmanuel Clancier publie son premier roman, Quadrille sur la tour, imprégné des contes et légendes du Limousin. Le sommet de son art romanesque viendra un peu plus tard avec la tétralogie,L e Pain noir (1956-1961), dont l’adaptation télévisée en huit épisodes par Serge Moati rencontrera un grand succès populaire entre décembre 1974 et février 1975. Dans L’Eternité plus un jour (1969), le mémorialiste raconte l’histoire de sa génération : « J’ai voulu que se reflètent les espoirs, les illusions, les combats, les blessures d’une génération dont la jeunesse rencontra Guernica et la maturité Oradour. »
AMI ET LECTEUR ATTENTIF DE SES CONTEMPORAINS
Dans les années 1980, il revient sur son itinéraire propre dans trois récits autobiographiques : L’Enfant double, L’Ecolier des rêves et Un jeune homme au secret. Au début de 2016, il y ajouta un ultime volume, Le Temps d’apprendre à vivre (Albin Michel), qui couvre les années qui vont de la guerre d’Espagne jusqu’à 1947. Il y raconte notamment, parmi le foisonnement de l’histoire politique et littéraire, la rencontre avec Anne, son épouse, morte à 101 ans, en décembre 2014.
Raymond Queneau, auquel Clancier vouait une immense admiration, percevait dans son oeuvre des échos des contes de Charles Perrault, de Gérard de Nerval, et des « prolongements indéfinis aussi bien vers un avenir incommensurable que vers un passé préhistorique et toujours présent ». Riche d’une quinzaine de volumes, l’oeuvre poétique de Georges-Emmanuel Clancier – Le Paysan céleste (Robert Laffont, 1943), Passagers du temps (Gallimard, 1991), Contre-Chants (Gallimard, 2001), Vive fut l’aventure (Gallimard, 2008)… – est inscrite dans la grande tradition de la poésie française de l’après-guerre.
Il fut l’ami, le lecteur attentif de ses contemporains – René Char, André Frénaud, Guillevic, Jean Follain, Jean Tortel, Pierre Seghers, etc. Dans l’aventure du langage (PUF, 1987) témoigne de ce partage. Dans ses poèmes aux accents souvent surprenants, l’imaginaire ne vient pas contredire le réel. Un critique a pu justement parler à son propos de « surréalisme rustique ».
GEORGES-EMMANUEL CLANCIER EN QUELQUES DATES
4 mai 1914 : naissance à Limoges
1933 : premiers poèmes dans Les Cahiers du Sud
1956-1961 : tétralogie romanesque Le Pain noir (Robert Laffont)
1976 : président du Pen-Club français
2008 : Vive fut l’aventure (Gallimard)
2013 : exposition à Limoges
4 juillet 2018 : mort à l’âge de 104 ans
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NB : Nous avons une pensée pour Anne Clancier, l’épouse de Georges-Emmanuel Clancier, psychanalyste et femme de lettres, disparue en 2014 à l’âge de 101 ans. Nous avons eu l’honneur de recueillir ses propos sous le titre« Questions à Anne Clancier sur le contre-texte », à retrouver dans La Lecture littéraire, n° 12, « Le contre-texte », Reims, CRIMEL, 2014, p. 11-14.