NOTE DE LECTURE
Jean Bellemin-Noël, Saisons d’exil (Yi In-seong)
Keulmadang, Littérature coréenne, n° 37, mars 2016
« Un grand roman est un roman qui ouvre une porte sur l’inconnu. Une fois qu’on l’a lu, on a la conviction intime que quelque chose a changé autour de nous. Ou en nous.
Le premier et le plus grand éloge que l’on puisse faire d’un livre consiste à dire qu’il apporte du nouveau. Non pas qu’il est nouveau, comme lorsqu’on parle du dernier produit à la mode, mais qu’il donne à voir un monde neuf, à entendre un langage différent, à ressentir des sensations inédites, à imaginer des existences imprévisibles.
Pour moi, Saisons d’exil est un ouvrage de ce genre. Je me dis en mon for intérieur qu’il est écrit, autrement dit que son auteur est un écrivain. Et un écrivain est quelqu’un qui parle comme nul n’avait jamais parlé avant lui. Ayant participé à sa traduction en français, avec ce qu’une telle activité suppose de longue, lente, attentive et anxieuse fréquentation, il y a beaucoup de choses que je ne vois plus comme avant. Bien sûr la Corée, ses paysages, ses habitants, ses usages, son histoire, le milieu intellectuel des années 70, l’ombre parfois pesante du Nord ; bien sûr aussi un certain type d’homme, en compagnie de qui on aimerait voyager, boire, rire, refaire le monde ou garder le silence. Mais plus largement, c’est tout un champ de ma présence au monde, tout un aspect de ma saisie du monde qui ont changé, qui sont changés.
Afin d’examiner de plus près cette transformation, pour mon propre bénéfice et pour celui de quelques autres qui viendraient à se demander eux aussi en quoi l’expérience de cette lecture les a marqués, je me suis posé trois questions, sachant qu’une seule réponse devrait suffire pour les trois. Pourquoi suis-je tenté de dire, d’une manière globale, que cette écriture fait bouger les choses ? En quoi vient-elleébranler le regard que nous portons sur les choses ? Comment fait-elle voir en train de bouger les objets, les formes, les êtres, la vie, les mouvements du coeur ? […]
Post-scriptum : Tandis que j’achevais la rédaction de ces pages, un hasard heureux m’a permis de passer une journée à Auvers-sur-Oise, petite bourgade des environs de Paris où, comme on sait, Van Gogh a peint ses dernières toiles avant d’y mourir il y a un peu plus d’un siècle. Quand j’ai eu sous les yeux l’église de l’endroit, alors que j’avais en mémoire le souvenir et entre les mains une reproduction du fameux tableau qui la représente, l’idée s’est imposée à moi que la façon dont Yi In-Seong montre par écrit la fondamentale insatisfaction des choses est analogue à celle du peintre, qui donne un frisson d’angoisse et de bonheur mêlés. Et une même formule m’est venue à l’esprit pour qualifier ces deux oeuvres : inquiétante transfiguration.
Texte intégral :
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