Appel à communications
(English below)
Journée d’étude internationale et interdisciplinaire
« Origami : du nouveau entre les plis ? – Le pli dans la littérature et les arts »
Le 24 mai 2019
Kyushu University, Fukuoka, Japon
Art ancestral japonais, l’origami est l’art de plier (oru) le papier (kami). De nos jours, on oublie souvent que l’origami est une voie (dô) bien plus qu’un pliage ludique. Le Dictionnaire historique du Japon (éd. 1990) précise ainsi que l’origami est d’abord un document « qui reçoit un écrit dans la partie supérieure ». Par des méthodes de pliage horizontal et par des zones d’écriture très précises, le texte qui est inscrit sur le papier apparaît dans un sens déterminé dès que l’origami est déployé. De l’ère Heian à l’ère Muromachi, son usage est réservé aux listes diplomatiques (kyômyô origami), aux répertoires, mais aussi aux lettres d’ordres administratifs. Pendant l’ère Edo, l’origami sert aussi à l’authentification de certains cadeaux, sabres ou oeuvres d’art (tachi origami, kantei origami, origami-tsuki). Enfin, plié à la verticale par l’administration de l’ère Muromachi, l’origami est alors considéré comme une forme plus cérémonieuse de document (tategami). Certes, le mot français pli évoque lui aussi la missive et le rabat du papier contenant la lettre. Cependant, l’emploi du terme origami pour ouvrir cette journée d’étude permet de souligner à la fois l’interaction entre l’écriture et le pli du papier (caché/dévoilé), mais aussi celle qui existe entre la délicatesse artisanale des rabats et le document. L’usage de ce terme japonais et de ses variations peut donc être un point de départ pour étendre nos interrogations à l’Occident qui a son propre usage du pli au travers des siècles (éventail, couture…) et qui a aussi subi l’influence des arts nippons au XXe siècle notamment.
Tout d’abord, les sciences ont trouvé un intérêt à l’art du pliage et en ont fait un fondement pour créer de nouvelles technologies et de nouvelles façons de diminuer l’impact des machines sur notre environnement. Sciences et arts se rejoignent ensuite, comme dans l’oeuvre de Robert J. Lang qui s’appuie sur les sciences de l’ingénieur pour créer des origamis troublants de réalisme. De
même, Jun Mitani (artiste et professeur en sciences de l’informatique) collabore à la collection 132.5 d’Issey Miyake (dont la collection 1993 et le livre Pleats Please avaient connu un grand succès). L’origami devient le creuset d’une intermédialité mêlant les sciences, les arts plastiques et la création textile, ce que Dick Higgins appelle plus généralement l’intermedia, précisant que l’intermedium désigne ce « domaine qui s’étend entre la sphère générale des médiums artistiques et celle des médias quotidiens » (Something Else Newsletter, 1966). Le pliage apparaît dans de nombreuses oeuvres comme l’une des composantes du processus créateur intermedia. De fait, pliant des pans entiers de bâche, Christo emballe les monuments qui peuplent notre quotidien ; Sipho Mabona se tourne vers l’origami à taille réelle, le rapprochant aussi de la sculpture, tandis qu’Alma Haser fait de la photographie un kaléidoscope ayant l’origami pour fondement ; Pierre Boulez crée le cycle monumental Pli selon pli à partir de l’adjonction de pièces musicales inspirées par Stéphane Mallarmé. Ainsi, l’origami peut concrétiser le croisement de systèmes sémiotiques ou bien matérialiser plus généralement la rencontre des arts et de l’artisanat, des arts et des sciences. On pourra donc s’intéresser lors de cette journée d’étude au précipité créé par la rencontre de champs divers au travers du pli et à la complexité de leurs relations.
Évidemment, le pli, le drapé, suscitent depuis fort longtemps l’intérêt des chercheurs. De nos jours encore, les questionnements foisonnent. En 2011, « L’Espace pliable » est évoqué lors du colloque du même nom à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris, en collaboration avec l’Université Paris 1 – Sorbonne Panthéon. Il s’agit d’étudier le rapport du pli à l’espace, dans une transversalité disciplinaire qui va de l’architecture aux arts plastiques. En 2016, se tient un colloque interdisciplinaire sur « Le Pli », à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, qui a eu pour ambition d’analyser les rapports entre mécanique et morphogenèse des matériaux d’une part, et philosophie de l’autre. Outre les universitaires, les galeries et les musées ne sont pas en reste. En 2014, le Musée Matisse de Cateau-Cambrésis a lui aussi proposé un cycle de conférences autour du pli et du drapé dans l’histoire de l’art. En 2017, la Galerie parisienne Binome organise une exposition intitulée « L’oeil plié » et veut souligner la présence du pli dans l’art photographique contemporain, et notamment sa dimension matérielle, palpable. Enfin, le Musée d’Orsay ouvre en 2018 une rétrospective intitulée « Degas, la vie dans les plis », qui a pour prisme le regard de Paul Valéry sur l’oeuvre du peintre. Y a-t-il un effet « pli all over », comme le nomme Gilles Deleuze à propos de l’art moderne ? Les nouveaux usages artistiques du pli et plus particulièrement de
l’origami trouvent-ils des points de convergence ? Qu’en est-il de la mise en mouvement de l’origami, de sa combinaison avec d’autres arts ou avec les sciences desquelles il est aussi issu ? En effet, le pliage est aussi un calcul mathématique et reste une manipulation de la géométrie dans l’espace.
En littérature, la métaphore textile a souvent été employée. Leitmotiv poétique, on pense en premier lieu à la Vie dans les plis d’Henri Michaux, aux plis sensuels apparaissant dans les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire ou à l’éventail de Stéphane Mallarmé, mais aussi à l’étude de la peinture et de la danse, du plié et des pliures par Paul Valéry dans Degas, Danse, Dessin. La poésie contemporaine n’est pas en reste et fait régulièrement référence explicitement ou implicitement aux plis de la langue ou à ceux de la chair, comme dans Conversation avec les plis de Marie Rousset. La critique littéraire évoque elle aussi le tissage du texte à la façon de Roland Barthes ou le noeud borroméen lacanien entre symbolique et imaginaire. En outre, Françoise Bort et Valérie Dupont rassemblent en 2013 des études autour des Textes, texture, textile, variations sur le tissage dans la musique, les arts plastiques et la littérature. En philosophie, Gilles Deleuze fait le lien entre le baroque défini par le pli infini et le « modèle textile tel que le suggère la matière vêtue » ; car en art comme en couture, il faut que « le tissu, le vêtement, libère ses propres plis de leur habituelle subordination au corps fini », ce qui se produit selon le philosophe après la Renaissance. Une relation existe ainsi entre la métaphore textile couramment employée par la critique et l’idée de pli. En effet, étymologiquement, l’un des premiers sens attesté du mot « texture » (selon la forme tisture en ancien français) contient l’idée de « liaison », celle qui existe entre les fibres tissées. La liaison apparaît aussi dans la formation du pli qui positionne un pan sur un autre, chacun restant attaché à l’autre par un effet de charnière. En ce sens, le pli constitue-t-il une façon d’envisager la texture ? Peut-on parler d’esthétique du pli, à l’œuvre dans la trame du texte ? Quels nouveaux apports la critique apporte-t-elle à l’étude de la métaphore du pli et à celle de l’écriture du pli ? L’esthétique du pli met-elle aussi en évidence des transformations historiques et culturelles ? Cette journée d’étude permettra de rendre compte des dernières recherches sur l’imaginaire lié au pli mais aussi d’en examiner les continuités et ruptures.
Parallèlement, il faut noter que le pli cohabite aussi avec le repli et le déploiement. Quelle relation établissent-ils ? L’un coexiste-t-il nécessairement avec l’autre ? Se déterminent-ils mutuellement ? Gilles Deleuze écrit que « plier ne s’oppose pas à déplier, c’est tendre-détendre, contracter-dilater, comprimer-exploser ». Quelle est la fonction opératoire du pli ? Quel processus met-il en
jeu ? Doit-on considérer avec Gilles Deleuze que le pli s’inscrit dans une forme d’infinité où « tout pli vient d’un pli, plica ex plica » ? Faut-il considérer avec Georges Didi-Huberman que le visible peut constituer une topologie du repli où « l’interstice serait en quelque sorte porteur de la différence, du sens » ? Plus concrètement, le pli implique un dessus et un dessous. Comme H. Damisch, faut-il voir la peinture, mais aussi la littérature, comme un tissu tramé composé de plusieurs éléments dont le dessus et le dessous apparaissent en tant que surface d’échanges ? En ce sens, les différentes surfaces supposées par le pli peuvent-elles être reliées à une forme d’intersubjectivité ou bien n’y a-t-il pas d’échanges possibles ? Matérialise-t-il essentiellement une relation à soi ou bien une relation à l’Autre, pris dans son acception la plus large ?
En partenariat avec l’Institut Français de Fukuoka, cette journée d’étude à l’Université du Kyushu privilégie les champs de la littérature et des arts, mais elle reste néanmoins ouverte à toute proposition issue d’autres domaines qui pourraient enrichir notre réflexion.
Les propositions de communication (300 mots maximum) devront être accompagnées d’une notice bio-bibliographique et adressées à Charlène Clonts (charlene_michelle@yahoo.fr) avant le 15 février 2019. Le comité scientifique rendra sa réponse le 30 février 2019 au plus tard. Le colloque pourra faire l’objet d’une publication. Les langues acceptées sont le français et l’anglais.